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Introduction
par Laurence Carducci

Attentif à la multitude des êtres, visibles ou non, qui composant la biosphère, la peau vivante de la planète, Alex Rabus travaille intuitivement pour fixer dans ses imposantes toiles des mondes imbriqués les uns dans les autres, sans ordre apparent, ni limites définies. A travers cette exploration attentive et gourmande, végétaux et animaux sont unis dans une vaste fraternité d’existence. Les couleurs harmonisées permettent aux créatures qui peuplent les tableaux de se camoufler, et de chercher l’ombre ou la lumière. Les images se génèrent les unes les autres, bourgeonnent, essaiment, dans un fabuleux condensé. Enfoui dans un songe de naturaliste, l’artiste observe ce foisonnement avec passion, avidité et une innocence émerveillée, proche parfois du Douanier Rousseau. Il faut suivre de très près les trames fines du graphisme pour ne rien perdre des menus croquis, parfois drôles qui s‘y dissimulent volontiers.

Conteur généreux, Alex Rabus entraîne dans un univers foisonnant de métaphores et d’émotions, peuplé d’images soudaines. Le claquement de la queue de l’alligator cohabite avec le frôlement d’une grenouille et le grincement de l’insecte suscite un bleu sonore dans le coeur de la fleur. Cette extraordinaire dérive entraîne aussi dans un passé légendaire à travers châteaux et citadelles, où se devinent monstres et génies glissant dans la nuit. Le tissu pictural longuement élaboré capture ainsi patiemment l’imperceptible.

Ce travail d’imprégnation laisse l’œuvre se faire, comme une croissance végétale, en se constituant au fur et a mesure des flux d’information. Avec une audace et une originalité qui n‘appartiennent qu’a lui, Alex Rabus transcrit des notions de temps, les plus impossibles à transmettre entre toutes. Tout son travail y participe par son principe même: le choix de passer des années sur une même toile. Couleurs en main, il fait de la résistance. Alors même qu’il signale très clairement la destruction rapide de pans entiers du patrimoine vivant, il refuse de se plier aux effets déclamatoires des manifestes artistiques, pour travailler en solitaire et ne montrer qu’exceptionnellement ses œuvres. Par contre, l’homme de passion intervient tout de même, lorsque l’image ne suffit plus, les lettres de lecteur dont plusieurs sont reproduites dans cet ouvrage prolongent les tableaux.

Dans l’atelier, l’énumération patiente et minutieuse, soumise à la description respectueuse de la beauté du monde, contraste souvent avec des signaux d‘alarme. La sérénité tant recherchée n’a plus cours et la nature, si puissante soit-elle, s’étiole au voisinage de l’homme contemporain. Une sourde colère habite le peintre dans la série des Orphées qui résonne d’un rire dévastateur et qui porte la griffe de la révolte devant la standardisation de la planète et l’aspect souvent grotesque de nos comportements « civilisés ». Dans Excès de vitesse (1991 a 1995), l’homme qui fut un grand singe innocent écarte les bras en un geste d’amour et d’adoration, une attitude de crucifié aussi, au milieu du sacrifice général.

Le refuge de la contemplation revient dans sa période récente. Le dernier tableau, consacré a l’Areuse, offre la simplicité de son eau pour plonger dans une zone de clarté et oublier les clôtures proches, les treillis et les pistes alignées où rugissent cylindres et pistons, Tout est encore là, à portée de perception. Mais est-ce vraiment l’Areuse? L’artiste ne définit pas de berges, la peinture pourrait aussi bien suggérer une nuée intergalactique. Tout est encore là, comme à l’origine, a portée de perception, dans un face a-face intime avec les éléments essentiels, délivrés du temps. C’est une évocation de l’avant et de l’après-passage des humains, qui ne sont qu‘un épisode éphémère et peut-être sans importance.